Conte arménien . Le maître du jardin

Le rosier Anahakan

Un roi d’Arménie vivait dans un luxueux château au milieu d’une roseraie. Lorsqu’il recevait des invités, il la leur faisait visiter avec une grande fierté. Il y avait là toutes les roses connues à cette époque et la troupe des invités déambulait parmi les feuillages brillants, les pétales parfumés et les bourgeons prometteurs. Invariablement, le Roi amenait ses invités au carrefour de plusieurs allées : « Et voici le plus précieux, mon rosier Anahakan » annonçait-il fièrement. « Ah bon ??? » Les invités penchés sur le petit parterre contemplaient le rosier Anahakan : deux tiges, trois feuilles, pas un bouton de fleur… le plus chétif et maladif de tous les rosiers ! « La fleur du rosier Anahakan donnera la jeunesse éternelle au maître du jardin, c’est un devin qui me l’a dit » prophétisait le Roi. « Ah bon ??? » Alors le Roi s’assombrissait, faisait chercher le jardinier « Tu as été embauché pour faire fleurir le rosier Anahakan. S’il ne fleurit pas cette année, tu finiras ta vie en prison ! ». Le pire c’est que le roi tenait cette promesse-là ! Déjà 12 jardiniers s’étiolaient dans les cachots du château !

Recherche d’un jardinier

Chaque année le roi embauchait un nouveau jardinier, mais il y avait de moins en moins de candidats à ce poste. Le Roi envoya son armée pour chercher un jardinier et une troupe de soldats s’égaya dans le pays. Lorsqu’ils voyaient un homme en train de s’occuper de quelques plantes devant sa maison : « Mon brave, veux-tu devenir le jardinier du roi ? » « Moi ? Si vous voyiez comment j’ai raté mon jardin cette année… Il y a des vers dans les poireaux, des pucerons sur les soucis… » Et les soldats allaient plus loin, c’était une mission agréable !
Ils arrivèrent aux confins de l’Arménie, pas possible d’aller plus loin. Alors, au sommet de la montagne, ils virent une petite maison entourée de fleurs toutes petites mais d’une couleur intense comme seules les fleurs de montagne peuvent en donner. Là, vivait un jeune homme aux longs cheveux noirs, aux sourcils arqués qui se rejoignaient au-dessus de son nez, un jeune homme aux yeux doux et noirs et à la peau lisse. Il se nommait Samvel et il avait déjà entendu parler du rosier du roi. « Mon brave, tu vas devenir Jardinier du Roi ! » « Je préfère rester dans ma maison. » « Tu vas nous suivre de ton plein gré sinon tu te retrouveras en prison ! » Prison aujourd’hui ou prison demain… Samvel prit le chemin du palais.

Samvel jardinier

Lorsqu’il arriva dans le jardin du roi, Samvel dit : « Si ce n’est pas le plaisir ce sera la crainte qui me fera travailler le rosier Anahakan. » Puis il alla voir ce fameux rosier et quand il le découvrit (deux tiges, trois feuilles, pas l’ombre d’un bouton) il se sentit venir une immense affection pour ce rosier et le désir de tenter l’impossible lui vint.
Pendant tous les beaux jours, on a vu Samvel s’occuper du rosier Anahakan, lui parler, l’arroser, le choyer : il travaillait autant pour ce seul rosier que pour tous les autres. Mais le rosier Anahakan restait ce qu’il était : chétif, maladif. L’hiver arriva et le gel : Samvel posa une petite barrière de paille autour du rosier, mit de la paille autour des tiges. Le gel devint plus fort, alors le jardiner apporta sa propre couverture pour en protéger la plante. Il y eut même des nuits où Samvel resta auprès du rosier Anahakan pour lui apporter la chaleur de son corps.
Le printemps revint. Tous les rosiers du jardin du roi poussaient vers le ciel leurs feuilles toutes neuves, d’un vert translucide, tous les rosiers faisaient éclore des bourgeons. Et ce fut un festival de couleurs victorieuses, de parfums de désir. Malgré tous les soins, le rosier Anahakan restait ce qu’il était : deux tiges, trois feuilles, pas la promesse d’un bouton. Samvel s’inquiétait : il n’avait aucune envie de se retrouver en prison !

Floraison du rosier, délivré

Au matin du 1er mai, Samvel désespéré supplie le rosier : « Anahakan, mon fils pourquoi ne donnes-tu aucune fleur, qu’est-ce qui te fait mal ? »
A ce moment-là, la terre remua en surface et en sortit un ver ! Un ver gras, terreux, poilu. Mais aussitôt, un oiseau jaillit des buissons et goba le ver. Il l’avait à peine avalé qu’un serpent glissa d’une touffe d’herbes et fondit sur l’oiseau et l’avala. A cet instant un aigle qui tournait dans le ciel piqua sur le serpent le prit dans ses serres et l’emporta dans son aire.
A ce moment-là seulement, le rosier Anahakan, fit naître un bouton de fleur, Samvel souffla dessus pour le réchauffer et une rose des plus belles qu’il ait jamais vue éclôt. La rose généreuse qui donne la jeunesse éternelle !
Le jardinier courut au palais : « Sire, sire, le rosier Anahakan a fleuri ! »
Le Roi émergeait d’une fort mauvaise nuit causée par une beuverie la veille. « Quoi, qu’est-ce qu’il a à fleurir à cette heure-ci ce rosier ? » Puis il réalisa « Le rosier Anahakan ? Mais alors je vais avoir la jeunesse éternelle !  » Et le Roi en petite tenue courut dans le jardin et autour du rosier il dansa une danse de victoire « J’ai la jeunesse éternelle, j’ai la jeunesse éternelle ! »

Mort du Roi, jeunesse de Samvel

Des années ont passé. Le rosier se porte parfaitement bien.
Le Roi a est presque chauve, il a des poils dans les oreilles et il s’essouffle à porter son ventre. Cet hiver-là, il a attrapé froid, il ne quitte plus son lit. Voyant sa fin approcher, il fait venir la cour puis il appelle Samvel « Dis-moi, jardinier, la rose de la jeunesse éternelle pour le maître du jardin, ce n’était pas vrai n’est-ce pas ? » Samvel se pencha vers le Roi « Regardez-moi, Sire ». Toute la cour regarda le visage ridé du Roi face au visage lisse de Samvel : le jardinier avait gardé ses cheveux noirs, ses sourcils arqués qui se rejoignaient au-dessus de son nez et ses grands yeux noirs et doux.
« Sire, dit Samvel, le maître du jardin ce n’est pas celui qui croit commander aux hommes et à la nature ». Le roi compléta : « C’est celui qui l’aime, qui s’en inquiète, qui s’en occupe ». Ce fut sa dernière phrase, sa dernière respiration.
Samvel retourna tranquillement au jardin, comme quelqu’un qui a tout son temps. Quant au rosier Anahakan, il fleurit abondamment et se porte parfaitement bien.

 

 

Conte retravaillé et conté par Sylvie Ferrandier.
Source :

Gougaud Henri, 2011, L’arbre d’amour et de sagesse. Contes du monde entier., Paris, Seuil (coll. « Points »), 384 p.