Conte . La découverte du café

Dans les montagnes d’Arabie, un petit berger nommé Kaldi était au service d’un monastère, plutôt au service des chèvres du monastère. Il aurait aimé étudier. Mais il n’était qu’un garçon pauvre et il faisait au mieux son métier. Les chèvres ? Souvent elles allaient dans la montagne et en revenaient le soir.

Ce jour-là les chèvres sont allées au-delà des prairies sèches, et des buissons épineux, dans les pierrailles grises, et elles ne sont pas redescendues ! Le petit berger alla au-devant des chèvres : il traversa la prairie sèche que les animaux avaient l’habitude de brouter, mais il se trouva devant une haie de buissons épineux, impénétrables. Arrêté devant ce mur griffu, le soleil se couchant derrière lui, le jeune garçon fit demi-tour, et revint à l’écurie sans le troupeau. Et cette nuit-là on entendit les tintinnabulements des clochettes dans la montagne, les chèvres ne dormaient pas et Kaldi non plus !

Le lendemain les chèvres étaient toujours sur la montagne, alors le jeune berger traversa de nouveau la prairie sèche, cette fois-ci il longea les buissons épineux jusqu’à trouver un passage étroit, griffant, où il se faufila, et il se retrouva devant cette étendue de pierres grises qui semblaient infinies. Là c’était trop, il fit demi-tour et pour la deuxième fois rentra sans ses chèvres. Insomnie pour lui, et là-haut, insomnie pour les chèvres, toujours ces tintements de cloches !

Le matin du troisième jour, Kaldi prit une gourde d’eau pure, une musette avec de la nourriture, et le voici parti à travers les prairies. Il retrouva la faille dans la haie de buissons, se faufila par le passage étroit, se piqua par endroits. Devant lui, cette pente caillouteuse à perte de vue, des cailloux détestables, rugueux, coupants. Il prit une gorgée d’eau, une grande inspiration « Allons-y ». Pas à pas, le petit berger monta en suivant les rares endroits plats et stables qu’il découvrait. Derrière lui, le soleil montait aussi, mordant, brûlant, sans pitié. Au moment où il s’arrêta pour boire une gorgée à sa gourde, le garçon regarda autour de lui. Rien. Rien d’humain, rien d’animal ni même de végétal, il était perdu dans un chaos minéral brûlant ! Alors il se mit à pleurer, désespéré.

A un moment « Dbiling, dbiling » une clochette tinte, le jeune homme lève la tête, la vieille Chèvre aux grandes cornes, guide du troupeau lui fait signe de la tête « Suis-moi, suis-moi » et le petit berger se lève, suit la chèvre qui s’engage entre les rochers dans une sorte de couloir étroit. La Chèvre connaît ce passage, lorsque c’est trop étroit elle penche la tête d’un côté, de l’autre, ses cornes passent, le berger la suit.

Enfin, au bout du couloir, une lumière verdie par des feuillages, un espace qui paraît vaste. Le troupeau est là, grignotant une herbe par ci, un rameau par là, les chèvres sont heureuses de voir leur berger et viennent vers lui. Le jeune garçon observe les plantes, parmi elles ces arbustes aux feuilles ovales d’un vert profond, avec sur les rameaux, des graines vertes et rouges et rondes. C’est une plante inconnue dans la vallée, et le garçon en cueille des branches et en fait un petit fagot. « Allez les chèvres, il est temps de retourner à la bergerie, finies les vacances » il faut les pousser un peu puis l’une derrière l’autre les bêtes prennent l’étroit couloir pour déboucher sur le champ de cailloux. Le garçon suit les chèvres qui ont trouvé un chemin plus facile parmi les pierres. Puis c’est le sentier parmi les buissons épineux, enfin la prairie où le jeune homme se sent comme chez lui, enfin la chèvrerie. Pour le berger, c’est la joie de ramener le troupeau au complet, en bonne santé.

Une fois la traite terminée, Kaldi prit le petit fagot de cet arbuste inconnu et se dirigea vers le monastère. Pour la première fois les gardiens le conduisirent avec respect vers le bureau du Maître. « Maître, les chèvres mangeaient là-haut des plantes inconnues dans la plaine, surtout cet arbuste aux feuilles brillantes et aux petites graines rondes, elles s’en régalaient ».
« Bonne observation mon garçon. Nous allons étudier ensemble cette plante, viens dans la cuisine »

L’étude de la plante inconnue dura longtemps : les moines se succédaient à la porte du pour épier discrètement le Maître et le petit Berger. « Ils sont en train de grignoter des graines, mais ils font la grimace » Un peu plus tard « Ils ont fait bouillir des feuilles et ils les mâchent, ils font la grimace » Plus tard « Il y a un plateau avec des graines qui grillent et une bouilloire qui chauffe » Beaucoup plus tard « Ils se sont endormis. Mais l’eau de la bouilloire s’est répandue sur le plateau, et ça fait un liquide noirâtre qui sent bizarrement. Il faudrait peut-être les réveiller ». À ce moment-là, le Maître et le Berger se sont réveillés « Nous allons filtrer ce liquide et en boire une gorgée »

Quelque temps après, le Maître dit « Je me sens bien éveillé et j’ai les idées claires depuis que j’ai bu ce liquide » Kaldi ajouta « De mon côté je n’ai plus du tout sommeil. Et savez-vous, j’ai l’impression d’être passé par les mêmes épreuves que ce liquide. D’abord j’ai fait des tentatives pour rejoindre les chèvres, mais j’ai échoué. Puis je suis monté sur le pierrier et j’ai brûlé sous le soleil comme ce grain a grillé sur ce plateau. J’ai transpiré et pleuré comme ce grain a été ébouillanté par l’eau de la bouilloire. Ensuite, guidé par la grande Chèvre je suis passé par un couloir étroit comme le filtre qui a purifié ce liquide. Et c’est ensuite seulement que j’ai enfin retrouvé les chèvres dans ce lieu verdoyant d’une grande beauté. De même le liquide n’a pu donner tout son arôme et sa beauté que lorsqu’il fut passé par toutes ces étapes »
« Mon garçon, j’apprécie ton intelligence, si tu veux étudier au monastère, ta place est là. Et ce liquide qui nous tient éveillés et nous donne de bonnes idées, nous l’appellerons Kawa. J’en donnerai aux moines lorsqu’ils devront prier longuement la nuit ».
C’est depuis ce temps là que cette belle plante d’Arabie tient le monde éveillé. Même parfois quand il voudrait s’endormir !

 

Notes : Dans les Mille et Une Nuits, on trouve la légende de l’invention du café. Le café naît en Éthiopie, remarqué par le maître soufi Ali ben Omar. Puis celui-ci fonde la ville de Moka (Al-Mukha) en face de l’Ethiopie, au Yemen, il est nommé le saint de Moka.

Légende racontée par Sylvie Ferrandier
Source : D’après un conte dit par Catherine Zarcate à la radio vers 1988.