Conte merveilleux. La Femme du Capitaine  – AT 451

Une femme, mère de sept garçons, devient grosse. L’aîné dit :

– Frères, je ne reste plus ici.
– Nous partirons avec toi, répondent les autres, et tous s’en vont travailler comme fendeurs dans le bois.

La mère accoucha d’une fille. À six ans, elle gardait les oies le long des chemins. Un jour une grosse corneille qui volait au-dessus d’elle s’abattit sur sa tête, prit son bonnet et l’emporta.
La petite la suivit en criant, entra dans la forêt et après une assez longue marche arriva devant une grande loge, sur le faîte de laquelle la corneille posa le bonnet.

Voici la fillette bien désolée. Le jour baissait : que devenir ?

Elle entra dans la loge, ne vit personne et se cacha dans un coin.
Quelques instants après un jeune homme entra, mit une marmite sur le feu, coupa du pain dans sept écuelles et y trempa la soupe. Puis il sortit.

Aussitôt la petite, mourant de faim, courut prendre une écuelle. En un clin d’oeil elle avait mangé la soupe et s’était cachée. Tout aussitôt le jeune homme arriva avec six autres et chacun prit son écuelle et sa cuillère.

– Et moi, dit l’un d’eux, où est ma part ? mon écuelle est vide.
– Je suis sûr de te l’avoir remplie. Je vais te refaire de la soupe.

Le lendemain et le jour suivant, le même fait se reproduisit.

– Il y a un voleur ici, dirent les frères.
– Soyez tranquilles, reprit celui dont c’était le tour de faire la soupe, je l’épierai et il ne m’échappera pas.

Et il se défia tellement qu’il surprit la petite fille au moment où elle saisissait une écuelle.

– Ah ! je tiens le voleur !

– Je vous en prie, ne dites rien. Je suis une malheureuse égarée.
– D’où viens-tu ? Quel est ton nom ?
Il fut bien étonné quand elle se fut fait connaître.
– N’as-tu ni frère, ni sœur ?
– Les voisines qui lavaient la buie disaient que j’avais des frères partis à cause de moi.
– Bien ! Mange et cache toi.

Il trempa une nouvelle part de soupe et s’en fut trouver ses frères.
– La soupe est prête… ah ! si nous avions une femme avec nous pour nous la faire, notre soeur par exemple.

– C’est bien vrai, elle nous rendrait bien service.
– Eh bien ! venez, j’ai pris le voleur, et c’est elle, notre soeur.

Ils restèrent stupéfaits. Et quand ils virent cette petite fille, gentille comme un coeur, tous se réjouirent de ce bon hasard.

– Tu vas rester avec nous, nous t’achèterons un rouet, de la filasse, tu seras heureuse. Veille surtout à ce que ton feu ne s’éteigne jamais : tu serais obligée d’aller en chercher chez le Bouhu.

La petite fille, enchantée d’avoir trouvé ses frères, grandissait en travaillant. Mais voilà qu’un jour elle trouva son feu mort. Il n’y a pas hésiter, à tout risque il faut aller chez le Bouhu.

Elle part, frappe à la porte :

– Qui est là ?
– Je voudrais du feu.
– Tu en auras si tu passes ton doigt par la chatonnière, pour que je le suce. Et cela tous les matins.

Il fallut bien accepter. Mais il en résulta que la jeune fille dépérit très vite et que ses frères lui demandèrent un jour la cause de ce changement.
Etait-ce l’ennui ?

– Non, le temps ne me dure pas avec vous.
– N’aurais-tu pas demandé du feu ?
– Oui.

Elle avoua tout.
Eh bien, dit l’un des frères, demain matin je t’accompagnerai, avec ma grand’cognée. Tu diras au Bouhu de tendre le cou à cause de ton doigt qui s’est rétréci, et je serai là.

Le lendemain le Bouhu avait la tête tranchée d’un coup de cognée. La petite l’emporta dans son devantier et l’enfouit dans le jardin que ses frères avaient établi devant la loge.

Sur cette fosse ils virent naître une belle verdure qui ne tarda pas à porter des fleurs, plus belles et plus odorantes que des roses.

Comme la jeune fille faisait la lessive, elle eut l’idée d’y mettre une touffe de ces fleurs pour donner une bonne odeur au linge.

Hélas ! ce linge fut empoisonné et, à son contact, les sept frères se trouvèrent changés en sept boeufs blancs qui s’enfuirent en bramant à travers la forêt.

Seule, désolée, désespérée, leur soeur, abandonnant tout, se mit à leur recherche. N’en pouvant plus de fatigue, elle se reposait en pleurant au bord d’un chemin quand vint à passer un jeune capitaine.

– Qu’avez-vous donc à pleurer ? lui dit-il, la voyant si jolie et si triste.

Elle ne put s’empêcher de lui raconter son malheur.

– Qu’allez-vous faire ici ?… Venez avec moi, je vous conduirai chez ma mère en attendant. Elle n’avait pas le courage de résister ; elle le suivit.

De jour en jour le capitaine se sentait prendre d’amour pour cette étrangère. Et il finit par lui proposer de l’épouser.

La mère ne l’avait pas vue d’un bon oeil entrer dans la maison : elle s’opposa tant qu’elle put aux dispositions de son fils, mais le mariage se fit.

Au bout de quelques mois le capitaine fut rappelé à l’armée.
Il confia à sa mère sa jeune femme enceinte. Les couches faites, la mère écrivit à son fils :

– Grand malheur ! ta femme est accouchée d’un chien.

Ce n’était pas un chien mais un beau garçon qu’elle avait mis au monde et que la méchante mère avait jeté dans un puits.

Le capitaine revint peu après. Bien peiné il repartit, laissant sa femme grosse encore.

Et il en fut de même aux secondes couches.

Un garçon naquit, fut jeté dans le puits et la mère fit savoir à son fils que la jeune femme était accouchée cette fois d’un renard.

Quand le capitaine revint, il ne put s’empêcher de manifester quelque mauvaise humeur.

Si tu accouches encore d’une bête, dit-il en repartant à sa femme, je serai obligé de te faire pendre par le bourreau.

La pauvre femme sentait bien peser sur elle la haine de sa belle-mère.

Qu’elle eût mis au monde des animaux, elle ne pouvait le croire. C’étaient bien des enfants, mais qu’étaient-ils devenus ?

Et voici que pour la troisième fois, le capitaine apprit que sa femme était accouchée d’un lièvre.

L’enfant était allé rejoindre ses frères dans le puits.

Cette fois le capitaine, pris de dégoût et d’horreur pour sa femme, arriva avec le bourreau et la condamna à être pendue.

Comme elle montait à l’échafaud, elle supplia le bourreau de lui laisser dire quelques mots. Elle chantait drôlement :

– Revenez, revenez, mes sept frères, mes trois beaux fils. Sans vous je vais perdre la vie.

A peine eut-elle fini que sur le chemin on vit s’avancer sept robustes garçons, armés chacun d’une cognée :

– Que se passe-t-il donc ici ? disaient-ils.

Et sur leurs pas venaient une belle dame blanche, la Sainte Vierge, tenant un bel enfant dans ses bras, pendant que deux autres petits garçons la suivaient.

– Capitaine, dit-elle, voici vos trois bêtes.
Et tout fut révélé

C’est la misérable mère qui fut pendue.

Ms MILLIEN-DELARUE, Nivernais,

 

Source : Version nivernaise du conte-type 451 de la classification Aarne-Thomson , »La petite fille qui cherche ses frères  » ( The Maiden vho Seekes Her Brothers ). Collectée par Achille Millien (1858-1927) au cours de son vaste travail de recueil de récits traditionnels dans le Nivernais et le Morvan, transcrit  par P. Delarue à partir des manuscrits qu’Achille Millien lui avait confié, publiée en 1953, in « Contes populaires du Nivernais et du Morvan », dans sa collection  de « Contes merveilleux des provinces de France », et reproduite dans « Le Conte Populaire Français », P.Delarue et M.L. Ténèze, G.P. Maisonneuve et Larose, Paris 1964, Tome 2.

Notes :  Une autre version, collectée par Achille Millien en 1813,  figure , sous le titre « Les 7 Frères », dans le corpus de quatre-vingt « Contes inédits du Nivernais et du Morvan « , Editions Corti, Paris 2015, Collection Merveilleux, préfacé par Nicole Belmont, édition établie par Jacques Branchu qui a poursuivi le travail de transcription et de classement des manuscrits conservés aux Archives départementales de la Nièvre.

Dans cette version, les 7 frères ne retrouvent pas leur forme humaine et elle se termine par leur disparition dans la cheminée.