Conte Merveilleux AT 700   Jean Bout-d’Homme

Jean Bout-d’homme.
Conte du pays messin.

Une femme, un jour, cuisait son pain, lorsque tout-à-coup elle péta un tout petit, tout petit garçon; revenue de sa surprise, elle le considéra, lui donna le nom de Jean Bout-d’homme à cause de sa taille et sans perdre de temps lui remit une galette entre les mains en lui disant :

– Va porter cela à ton père qui travaille là-bas dans les champs et quand tu seraq arrivé auprès de lui, tu diras : « Tenez, père, voilà de la galette ».
– J’y vais ma mère, dit Jean Bout-d’homme

Et tout le long du chemin il répéta pour ne pas oublier cette phrase : tenez, père, voilà de la galette tenez, père, voilà de la galette…

Arrivé auprès de son père qui était occupé à relever les fossés, il repris son refrain,

– Tenez, père, voilà de la galette.

Notre homme entendant parler regarda de tout côté, mais il ne vit rien;  à la fin cependant il aperçut à ses pieds notre petit commissionnaire.

– Qui est tu ? Que me veut-tu ? Lui dit-il.
– Je suis votre fils Jean Bout-d’homme, je vous apporte de la galette
– Tu es gentil, mon enfant, de m’apporter cette bonne galette
Et l’ayant prise de ses mains, il la mangea toute entière, sans lui offrir seulement une miette.

– Le goinfre, il ne m’en donne pas ! Le goinfre, il ne m’en donne pas ! gémit Jean Bout-d’homme.

A quelque temps de là, un seigneur vint à passer. Il interpella l’ouvrier :

– Tu as là un beau petit garçon, veux-tu me le vendre ?
– Je veux bien
– Combien ?
– Cent écus
– Cent écus tu auras.

Le marché conclu, le seigneur mit Jean Bout-d’homme dans sa poche et continua sa route.
Au bout d’une heure, l’enfant mit la tête hors de la poche et pria son maître de le poser à terre, parce qu’il avait envie de pisser; le seigneur eut le tort de l’écouter. Jean Bout-d’homme, sans perdre un instant, se glissa sous un tas de feuilles où il fut impossible à son propriétaire de le retrouver. Jean Bout-d’homme, rendu à la liberté, alla rejoindre son père.

A quelques jours de là, le seigneur repassa auprès de l’ouvrier toujours occupé à relever le fossés.

– Tu as là, lui dit-il un beau petit garçon ; veux-tu bien me le vendre ? –
– Je veux bien
–  Combien ?
– Cent écus
– Cent écus tu auras.

Le marché conclu, le seigneur fourra Jean Bout-d’homme dans sa poche. Au bout d’une heure l’enfant mit la tête hors de la poche et pria son maître de le poser à terre parce qu’il avait envie de chier.

– Chie dans ma poche vilain gamin,  dit le seigneur qui se souvenait d’avoir été attrapé une fois.

Arrivé au château, il sortit Jean Bout-d’homme de sa poche, le mit dans un panier qu’il suspendit au plafond de la cuisine et lui recommanda de bien observer tout ce qui se passerait et lui rapporter fidèlement tout ce qu’il verrait.

Jean Bout-d’homme accepta la mission et chaque jour il racontait à son maître ce qu’il voyait et ce qu’il entendait.

Or, un jour que notre héros penchait sa petite tête par-dessus le bord du panier pour observer, il fut aperçu par un domestique qui lui dit :

– C’est donc toi, scélérat, qui espionne si bien ! C’est toi qui informe le maître de tout ce qui se passe ; eh bien ! tu vas être puni.

Aux applaudissements de ses camarades, le domestique détacha le panier, saisit le pauvre petit par les cheveux et alla le jeter dans l’auge des bestiaux. Le jour même, un bœuf allant y boire, l’avale tout rond.

A la fin de la semaine, le seigneur fit tuer ce bœuf pour un grand festin. Une vieille femme passant par-là vit les tripes :

– Oh quelles belles tripes ! Ce serait dommage de les laisser perdre, et ce disant elle les fourra dans sa hotte.

Elle n’avait pas fait dix pas qu’elle entendit une voix qui sortait de sa hotte et qui disait :

– Toc ! Toc !
– Le diable est dans la hotte
– Toc ! Toc !
– Le diable est dans la hotte.

La vieille jeta sa hotte et s’enfuit épouvantée.
Survint un loup affamé qui se jeta avec avidité sur les tripes et Jean Bout-d’homme fut encore une fois avalé tout rond.

Comme le loup traversait la plaine, il entendit sortir des profondeurs de son corps, une voix qui criait :

– Sauve , berger, voilà le loup qui va te dévorer tes moutons
– Tais-toi, maudit ventre ! dit le loup désespéré
– Je ne me tairai pas, tant que tu n’auras pas été me déposer sous la porte de mon père, répliqua Jean Bout-d’homme .
– Hé bien je vais y aller dit le loup.

Quand ils arrivèrent, Jean Bout-d’homme sortit du dans le ventre du loup, se glissa rapidement la maison en passant par la chatière et, au même instant, saisissant le loup par la queue il cria :

– Venez, venez, père, je tiens le loup par la queue.

Le père accourut, tua d’un coup de hache le loup dont il vendit la peau.

Rentré chez ses parent, Jean Bout-d’homme vécut heureux et tranquille.

Conté par Mme Ve Richet , âgée de 77 ans à Woippy, près de Metz.

 

Source: Conté par Mme Ve Richet , âgée de 77 ans à Woippy, près de Metz.   Revue Mélusine 1, 1877, p.41-42.

Une autre version racontée par Daniel Fabre ( Ecouter )

Notes : Jean Bout-d’Homme est une des nombreuses versions du conte-type 700, répertorié par Aarne et Thomson sous l’intitulé « Tom Thumb » (Tom Pouce). Britannique à l’origine, Tom Pouce est un des personnage les plus répandus dans le folklore européen. Premier conte merveilleux imprimé au Royaume uni dès le XVIIème S. D’abord destiné aux adultes, le conte a été ensuite édité vers le XVIIIème S.  pour les enfants. En 1819, les frères Grimm le publient dans leur ouvrage « Contes de l’enfance et du foyer » (« Kinder und Hausmächen »). C’est la version la plus connue du conte.

Le conte-type 700 est répertorié par J.P. Delarue et M.L Ténèze, sous le titre Pouçot. Dans les versions traditionnelles des régions françaises, le personnage  est nommé Pouçot,  Peuçot, Jean Bout-d’Homme, Plein Poignet, Poucet, le Petit Pouzet, le grain de Millet, le petit Modic etc.