La mort  d’Odin : légende islandaise

On festoie dans la forteresse du roi Olaf Tryggvason. Les compagnons boivent, mangent, chantent. Demain sera un jour de combat, qui sera vivant, qui sera mort ? Au centre de la pièce, le feu ne réchauffe que ceux qui sont tout près, mais on prend conscience d’un courant d’air : un garde a ouvert la porte sur un vieillard. Chapeau à larges bords ombrant son visage, un oeil brillant, lourd manteau bleu délavé, main crispée sur un bâton pointu. Deux corbeaux perchés sur ses épaules. Olaf s’avance « Que veux-tu, vagabond ? Tu sais faire quelque chose, tu sais danser peut-être ? » « Je veux seulement que vous écoutiez une histoire véridique » « Mets-toi près du feu, Vieux » Appuyé sur son bâton, le vieil homme s’avance au centre de la pièce, puis psalmodie.

«  »Lorsque le dieu Odin naquit, sa mère fit venir les trois vieilles du destin, les Nornes. La première qui avait des cheveux de neige annonça « Cet enfant aura la force et la sagesse« . La seconde qui avait des yeux d’océan annonça « Cet enfant aura la royauté des dieux« . La troisième, aux mains de branches mortes alluma une bougie et dit « Cet enfant mourra lorsque cette bougie sera consumée« . Aussitôt la mère d’Odin saisit la bougie et la souffla, puis la cacha près d’elle.

Odin grandit en jeune dieu. Lorsqu’il quitta la maison, sa mère lui confia la bougie « Mon fils, cette bougie mesure la durée de ta vie. Tu as le droit de la brûler  tout de suite, mais je ne le souhaite pas. Fais en bon usage, veilles sur ta vie. » Porté par son cheval à huit jambes qui courait deux fois plus vite que les autres chevaux, Odin parcourut la Germanie, la Scandinavie, l’Islande. il était accompagné par ses deux corbeaux de bonne augure qui lui transmettaient la mémoire du passé, et aussi l’avenir. Les peuples l’acclamaient, voyant en lui victoire, commerce, sexualité, poésie et autres réussites humaines.

Or, arriva une autre religion née en Palestine, le Christianisme. Et les anciens dieux ne furent plus que des vagabonds épuisés, cars ils étaient privés de la force que leur donnaient la croyance et la foi des hommes. » »

Le vieillard se tut, et se courbant plus encore, il alla s’asseoir sur un banc de bois brut devant une table. Puis il tira de son sac une bougie qu’il alluma « Quand cette bougie sera consumée, je m’en irai. » Un silence troublé flotta dans la pièce « Ah ah ah ! » le rire du roi Olaf Tryggvason interrompit cette attente, un rire qui se devait d’être fort pour briser l’impression laissée par l’histoire du vieux, un rire relayé par les compagnons soulagés. « Tout ça c’est balivernes et fariboles, veilles croyances de vieux vagabond ! » Alors on reprit le festin, beuveries et braillements qui durèrent tard dans la nuit.

Maintenant le feu était éteint, les convives qui tenaient encore debout allaient se coucher dans la paille de la grange. Le vagabond était toujours courbé devant la table, et Olaf posa sa poigne sur son épaule « Vas donc te coucher comme les autres, Vieux. Eh ! Tu t’es endormi ? ». Mais sous la main du roi, le corps du visiteur se délita, l’homme dans le manteau, sous le chapeau, et les corbeaux, tout tomba en un petit tas de poussière. La bougie, point rouge, ruban de  fumée, était consumée. C’est ainsi que mourut le puissant dieu Odin.

Légende du Xème siècle, racontée par Henri Gougaud. Re-rédigée par Sylvie Ferrandier