Les échanges interculturels sont une constante dans l’évolution humaine. La littérature orale témoigne non seulement des échanges, mais est un formidable outil de gestion de rencontres que dans nos sociétés contemporaines peuvent prendre des teintes conflictuelles.

La littérature orale : un brassage constant de richesses culturelles différentes

Depuis l’origine de l’Humanité, la richesse de Homo sapiens c’est construite grâce aux déplacements, à la rencontre, aux échanges commerciaux, aux migrations saisonnières, aux rites qui incluaient l’altérité comme élément permettant de construire sa propre culture.

Loin d’être des enclos renfermés sur eux-mêmes, les cultures redéfinissent constamment des frontières plus ou moins perméables en fonction des diversités qui rencontrent. Au-delà des images d’Épinal, aucune société humaine ne s’est construite en autarcie. Les cultures et sociétés se sont nourries par des échanges ou, à défaut, de l’imaginaire de ce que l’Autre représentait. Comme il le démontrent des nombreux travaux d’anthropologues et historiens, des habitats alpins du Queyras du début XIXème siècle, aux peuplades de Papouasie Nouvelle Guinée (et les traditionnels échanges Kula), en passant par les Nandé du Congo, l’interculturalité, le brassage, la construction de sa propre identité en fonction de l’altérité est une constante intemporelle.

La littérature orale est un exemple criant de ce mélange de cultures, d’influences lointaines et de réinterprétations à la lumière d’une spécificité culturelle de thèmes communs à l’Humanité. Cependant, certains phénomènes historiques comme la colonisation ou le développement économique capitaliste ont parfois coupé des liens ancrés dans la nuit des temps. Paradoxalement, dans une société globalisée où l’information peut dépasser les frontières et les marchandises arriver aux quatre coins du monde, certains échanges ancestrales (et les narrations orales qui les accompagnaient) se perdent. Jean-Loup Amselle en témoigne

Toutefois, si des formes d’hybridations anciennes ont été transformées dans une réification culturelle excluante, des nouvelles formes de métissage ont vu le jour.

Aujourd’hui, notre société s’affirme comme un lieu de brassage permanent entre des cultures qui, il y a à peine 100 ans s’ignoraient en grande partie (malgré des contacts anciens). Ce brassage, s’il est géré, peut devenir une richesse sans pareille, mais si il ne l’est pas il peut devenir une expression forte et violente de la peur de l’autre.

La littérature orale, de par la spécificité de certains de ses récits, peut devenir un merveilleux outils d’intercompréhension entre les cultures. En effets, ces récits issus de culture particulière traitent  aussi de sujet concernant des stéréotypes humains et des archétypes.

La littérature orale peut apprendre à la compréhension de l’autre

La littérature orale comme outil de compréhension interculturelle. À travers la découverte du patrimoine oral des peuples et des sociétés, il est possible de brouiller les pistes d’une conception de la culture vue comme enclos renfermant, pour en faire un outil pour construire des ponts entre les cultures.

Mémoires orales et interculturalité

Grâce aux recherches et aux travaux menés sur le terrain par le CMLO, des réflexions théoriques et pratiques permettent d’une part de comprendre et de l’autre d’agir en direction d’une société où les différences culturelles deviennent des richesses.

La conscience kinesthésique du non-verbal

Dès le plus jeune age, la littérature orale peut contribuer à développer et maîtriser la notion de mouvement, d’état de corps, de mimique. Le corps « parle » : la parole n’est pas qu’une partie infime de la communication, qui passe par des éléments contextuels souvent sous-estimés. La notion du non-verbal, acquise par la littérature orale, mène à la conscience du métalangage et avec possibilité d’analyser le langage pour arriver à mieux la maitriser.

Développer les processus créatifs

En classe ou en dehors, avec les contes et les autres genres de la littérature orale, il est possible, par différents biais, de stimuler et développer la créativité. Il s’agit ludiquement non seulement de travailler la mise en mots, qui est l’étape finale, mais non ultime, de la littérature orale à travers le plaisir et les images mentales multisensorielles.

Les travaux de recherche du CMLO ont longuement réfléchi  à l’importance de l’interculturalité dans nos sociétés. À travers l’application formidable de la littérature orale et des mémoires orales, le CMLO a développé différents outils qui permettent de transformer le parole des contes et des récits de vie en instruments capables de cimenter

Pour aller plus loin

Écoutez la conférence « Littérature orale et interculturalité » par Marc Aubaret (2010, Alès)

Aujourd’hui, dans un monde qui s’ouvre de plus en plus vite aux contacts entre les cultures, les relations risquent de rester dans la superficialité, dans une efficacité propice à des échanges matériels mais n’enrichissant que très peu les interculturalités. Les cultures sont riches de leurs langues qui se sont nourries durant des millénaires d’une transmission s’appuyant sur la façon spécifique dont les peuples ont conçu l’organisation du cosmos et de la terre. Comment partager et accepter les multitudes de fondamentaux culturels sans tenter d’imposer une façon de voir ? Voilà un des enjeux essentiels de notre futur. Au cours de cette conférence, nous éclairerons la contribution que les transmetteurs de la littérature orale peuvent apporter à cette problématique.

Pour aller plus loin

Al-Azmeh Aziz, Wang Bin, Hollinger David, Mamdani Mahmood et Renault Emmanuel, L'identité. Pour un dialogue entre les cultures, s.l.
Amselle Jean-Loup, 2016, « Du métissage au branchement des cultures » dans Luc Gwiazdzinski (ed.), L’hybridation des mondes. Territoires et organisations à l’épreuve de l’hybridation, Paris, France, Elya Editions, p. 45‑52. Download
Barth Fredrik, 1998, Ethnic Groups and Boundaries: The Social Organization of Culture Difference, s.l., Waveland Press, 156 p.
Calame Claude, -1, " La question de l'identité : pour une sémiotique éco-anthropologique ", Actes Sémiotiques, -1, vol. 123, p. XX‑XX.
Chevallier Jacques, « Penser à partir de Pierre Clastres: l’État et le devoir de parole », p. 12. Download
Decourt Nadine, 2008, " Conter entre les langues et les cultures : circulation de la parole et des imaginaires ", Cahiers de littérature orale, 1 janvier 2008, no 63‑64, p. 231‑239. Download
Decourt Nadine, 1991, " Le conte comme outil de médiation en situation interculturelle ", Repères, 1991, vol. 3, no 1, p. 99.
Decourt Nadine et Louali-Raynal Naïma, Contes maghrébins en situation interculturelle, Paris, Karthala.
Decourt Nadine et Martin Jean-Baptiste (eds.), 2021, Littérature orale : paroles vivantes et mouvantes, Lyon, Presses universitaires de Lyon (coll. " CRÉA "), 312 p.
Dumas Philippe, 2020, " Une problématique pluriculturelle de la notion d'hybridation ", Distances et médiations des savoirs. Distance and Mediation of Knowledge, 22 juin 2020, no 30.
Hermann Aymeric et Walworth Mary, 2020, « Approche interdisciplinaire des échanges interculturels et de l’intégration des communautés polynésiennes dans le centre du VanuatuInterdisciplinary approach to intercultural exchanges and the integration of Polynesian communities in Central Vanuatu », Journal de la Société des océanistes, 31 décembre 2020, p. 239‑262. Download
Laplantine François et Nouss Alexis, 1997, Le métissage, s.l., Flammarion Paris.
Rachida, 2022, Écarts d'identité - n°137 " Chaos identitaires et Relation ", , 7 janvier 2022, consulté le 12 septembre 2022.
Raynaud Michelle et Decourt Nadine, 1999, Contes et diversité des cultures, le jeu du même et de l'autre, s.l.
Remotti Francesco, 2019, " Identité ", Anthropen, 19 décembre 2019. Download
Rosenberg Harriet G., Viazzo Paolo Préfacier et Brun Jean-Pierre, 2014, Un  monde négocié: trois siècles de transformations dans une communauté alpine du Queyras, Grenoble, France, Musée dauphinois : Isère, Conseil général, 191 p. Download
Vibert Stéphane, 2003, " Jean-Loup Amselle, Branchements. Anthropologie de l'universalité des cultures. Paris, Flammarion, 2001, 265 p., illustr., bibliogr. ", Anthropologie et Sociétés, 2003, vol. 27, no 1, p. 214‑216. Download
Wolf Eric R., 1982, Europe and the People without History, s.l., Univ of California Press.

Un monde sans merveilleux est un monde mort.

« Si durant toute sa vie l’homme devait s’en tenir au connu, rester limité au petit groupe de phénomènes qu’il sait, par éducation et atavisme, relier entre eux et constituer en un réseau de relations, ce filet purement utilitaire ne pourrait manquer de devenir un piège d’ennui, une prison sans désirs dans laquelle il serait condamné à pourrir enchaîné, entre le pain noir et l’eau croupie de la logique. »
Michel Leiris, Le Merveilleux, Didier Duvillez Éditeur, 2000