Le Voleur Avisé

 

Il était autrefois un pauvre homme qui avait deux enfants, garçon et fille, Efflam et Hénori.

Un jour, le père dit à Efflam : A présent, mon fils, que te voilà élève, tu devrait être capable de gagner ton pain et te suffire à toi-même. Si tu allais à Paris chercher fortune ?

  • C’est bien, mon père, j’irai à Paris chercher fortune, répondit Efflam.

Et en effet, le lendemain matin, Efflam se mit en route vers Paris. Il marcha et marcha, mettant toujours un pied devant l’autre. Un jour qu’il traversait une forêt, la nuit l’y surprit. Il monta sur un arbre, pour attendre le jour et se mettre en sûreté contre les bêtes féroces. Bientôt, trois brigands, chargés de butin, arrivèrent sous l’arbre. Ils soulevèrent une grande pierre et déposèrent leur butin dans une caverne dont elle cachait l’entrée. Puis ils s’assirent sous l’arbre, pour manger et boire, tout en causant de leurs exploits. Efflam prêta bien l’oreille et entendit ce qui suit :

  • Moi, dit un des brigands, j’ai un manteau merveilleux qui me transporte, à travers les airs, partout où je veux.
  • Moi, dit un autre, je possède un chapeau qui me rend invisible, et, quand je l’ai sur la tête, je puis aller partout, sans être vu de personne.
  • Et moi, dit le troisième, j’ai des guêtres avec lesquelles je puis marcher aussi vite que le vent, quand je les ai sur mes jambes.
  • Si je pouvais avoir le manteau, le chapeau, et les guêtres, ou seulement un de ces trois objets – se disait Efflam,  cela ferait joliment mon affaire ! Mais comment m’y prendre pour cela ?

Et il chercha dans sa tête et trouva ceci : tomber au milieu des brigands, en se laissant dévaler le long des branches feuillus, et en criant : – « Au voleur ! » de manière à leurs faire croire que  le diable ou les gendarme étaient à leurs trousses – c’est c qu’il fit, et les trois brigands, saisis de frayeur, s’enfuirent au plus vite, abandonnant sur la place, le manteau, le chapeau et les guêtres.

Efflam se saisit des trois talisman, et, ayant mis les guêtre sur ces jambes, il fut bientôt à Paris. Comme il se promenait par les rues, tout émerveillé des belles choses qu’il voyait de tous côtés, il remarqua une boutique de bijoutier, qui lui sembla plus belle et plus riche que les autres, et fut tenté d’y dérober quelques objets de valeur. Il mit son chapeau sur la tête, pénétra dans la boutique, sans être aperçu de personne, et prit tout ce qu’il lui plut. Il vendit ensuite, dans une autre boutique, les objets qu’i s’était procurés de cette manière, pour avoir de l’argent. Il rencontra alors un soldat de son pays et ils menèrent ensemble joyeuse vie, pendant quelques jours. Quand l’argent fut tout dépensé, Efflam ne fut pas en peine de savoir comment s’en procurer d’autres.

Un jour, il aperçut sur une place un marchand de vases de terre qui vendait  beaucoup, et qui mettait son argent, à mesure qu’il le recevait dans un coffre de bois placé à côté de lui.

  • Il faut que je lui enlève son coffre, se dit Efflam.

Et en, mettant son chapeau sur sa tête, il enleva facilement le coffre, l’emporta à l’écart, le brisa, prit l’argent qui s’y trouvait et mena encore joyeuse vie, pendant qu’il dura.

Un jour, comme il se promenait sur une place de la ville, il entendit trois homme qui causaient ensemble du trésor du roi. Ils disaient qu’ils trouvaient le roi bien mal avisé de mettre des soldat de garde près de la tour  et que le murs en étaient tellement épais et solides qu’il était impossible d’y pratiquer la moindre ouverture.

  • C’est fort bien, se dit Efflam, je sais, à présent, où est le trésor du roi.

Puis s’adressant aux hommes :

  • Ainsi, vous pensez qu’il est impossible de voler le trésor du roi.
  • Pour cela oui, – Répondirent-ils
  • Eh ! bien, moi je ne le crois pas.

Et il s’éloigna là-dessus.

La nuit venue, il se rendit au pied de la tour, et, ayant étendu son manteau magique par terre, il s’assit dessus, se coiffa de son chapeau et dit   :

  • « Manteau, fais ton devoir et transporte moi, sur le  champ, dans la salle du  trésor du roi »

Ce qui fut fait aussitôt, sans que les gardes ni nul autre vissent rien. Il sortit de la même manière, en emportant plein ses poches d’or et d’argent. Le  lendemain et le surlendemain et toutes les nuits ensuite, il revint à la charge, et toujours avec le même succès.

 

Devenu riche subitement, il acheta un palais, et appela auprès de lui son père et sa sœur. Le jour où ils devaient arriver, il alla à leur rencontre, avec un beau carrosse attelé de deux chevaux. Arrivé à  environ une lieus de la ville, voyant son père et sa sœur venir sur la route, à pied et mal vêtus, il dit à son cocher de retourner avec un des chevaux, et de lui apporter une boite qu’il avait oubliée  sur la  table, dans sa chambre, et dont il avait besoin. Il l’attendrait dans une maison qui se trouvait là, au bord de la route.

Le cocher détela un des chevaux et partit. Efflam fit alors entrer son père et sa sœur dans la maison au bord de la route, leur donna à changer de riches vêtements qu’il leur avait apportés dans son carrosse, et leur remit à chacun une bourse pleine d’or, afin que son cocher, à son retour, ne les prît pas pour de pauvres paysans, comme ils étaient en réalité.

Le cocher revint et dit à son maître :

  • Je n’ai pas trouvé la boite dans votre chambre.
  • Eh ! non, je l’avais avec moi dans mon carrosse et n’en savais rien.

Puis ils rentrèrent en ville.

Un jour, le père demanda à son fils comment il avait fait pour devenir aussi riche ainsi, et Efflam lui avoua qu’il volait le trésor du roi.

  • Si tu veux, lui dit alors le vieillard, j’irai aussi avec toi, et à nous deux, nous emporterons une grande somme.
  • Je veux bien, répondit Efflam.

La nuit  venue, il se placèrent tous les deux sur le manteau, mirent aussi tous les deux leur tête sous le chapeau, et ils furent transportés dans la chambre du  trésor, puis ils s’en retournèrent de la même manière, emportant tous les deux leur charge d’argent.

Cependant le roi s’aperçut qu’on volait son trésor, et il en fut très étonné, car il n’en confiait jamais la clef à personne, et, par ailleurs, il n’apercevait nulle part aucune trace d’effraction. Alors, il fit disposer des pièges autour des vases qui contenaient l’argent et l’or, pour y prendre le voleur. Et en effet, le  père fut pris, la nuit suivante. Voyant qu’il ne pouvait s’en tirer, afin de sauver au moins son fils, il lui dit : « coupe-moi la tête, et emporte-là hors d’ici, avec mes  vêtement, afin que  je ne sois pas reconnu.

Efflam suivi les conseil de son père, lui coupa la tête et l’emporta, pour l’enterrer dans son jardin.

Quand le  roi vint, le  lendemain, à la chambre du trésor, il s’écria avec joie, à la vue  du corps inanimé qu’il y trouva :

–           Ah ! voilà enfin mon voleur pris !… Voyyons qui c’est.

Mais ni lui, ni personne ne put reconnaître ce corps sans tête, de sorte que le voilà plus embarrassé que jamais.

Il fit alors publier par toute la ville que le voleur était enfin pris et qu’on allait trainer son corps sur une claie, dans tous les quartiers de la ville.

Ce qui fut fait en effet, et quatre soldats, deux devant et deux derrière,  accompagnant le corps, avec ordre de bien écouter et bien regarder autour d’eux, pour voir si quelqu’un pleurait, ou gémirait, ou paraîtrait désolé sur leur passage.

Efflam fit atteler son carrosse de bonne heure, et avant de partir il dit à ceux de sa maison et à ses voisins qu’il allait reconduire son père dans son pays, où il désirait  retourner. C’était afin d’expliquer la disparition du vieillard. Arrivé à environ une lieu de la ville, il dit encore à son cocher de dételer un des chevaux  de la voiture et de retourner avec lui en toute hâte à la ville pour rapporter à son père sa bourse, qu’il avait oubliée en partant.

Le cocher détela un des chevaux et partit. Puis Efflam, voyant venir sur la route un courrier, qui portait des lettres, lui demanda s’il n’était pas fatigué.

  • Pas encore, répondit-il – mais je le serai avant la fin de ma tournée, car j’ai beaucoup de chemin à faire.
  • Si tu veux je te donnerai ma voiture et mon cheval ?
  • Ne vous moquez pas de moi, Monsieur.
  • Je ne me moque pas de toi, et à preuve, – tiens, prends-les.

Et Efflam descendit de sa voiture, yy  fit monter le courrier, presque de force, puis il reprit tranquillement, à pied, la route de la ville. Il rencontra son cocher qui revenait et lui dit :

  • Je vous ai encore fait faire un voyage inutile : mon père avait sa bourse dans sa poche, et ne le savait pas : à son âge la mémoire commence de faiblir. Je lui ai donné ma  voiture et mon cheval, pour s’en retourner dans son pays, et je rentre vite, car je suis rappelé à temps que  j’ai besoin d’être à la maison aujourd’hui.

Et il monta sur le cheval que ramenait le cocher et partit au galop.

En rentrant, il mit sa sœur au courant de tout, et lui recommanda bien de ne pas pleurer, ni  de gémir, ni de paraître triste, ni même de se cacher, quand passerait le corps mutilé de son père, trainé sur une claie, lui expliquant que si elle manifestait le moindre signe de douleur, elle le perdrait et se perdrait  elle-même.

Bientôt, on entendit  la foule qui criait :

  • Voici le voleur du trésor du roi !…

Tout le monde accourait sur le seuil des maisons, et une grande foule suivait le corps sans tête, et personne ne pouvait dire qui il était aussi sur le seuil, avec sa sœur à côté de lui. Mais Héroni, ne pouvant supporter ce spectacle, poussa un cri et se retira dans la maison. Efflam la suivit, et, tirant son poignard, il lui  fit une blessure à la  main. Deux soldats se présentèrent et dirent :

  • Nous avons entendu pousser des cris de douleur, dans cette maison.
  • Oui, leur dit Efflam, c’est ma sœur qui, s’étant blessée avec mon poignard, crie ainsi : Voyez comme elle saigne !…

En effet, la jeune fille saignait et criait toujours.

Ce stratagème n’ayant pas réussi au roi, il s’avisa d’autre chose. Il fit suspendre le corps du voleur à un clou fiché dans le mur de son palais et poster des gardes aux aguets dans le voisinage, persuadé que, lma nuit venue, les parents ou les amis du voleur essaieraient d’enlever le corps.

Quand Efflam vit cela, il se déguisa en marchand de vin, chargea un âne d’outre de vin mélangé d’un narcotique et s’en alla passer avec lui, et accompagné de sa sœur au pied du mur du palais ou était suspendu le corps de son père. D’un coup d’épaule, il fit tomber les outres, dont une, préparée à cet effet, se déboucha. Sa sœur et lui se mirent à crier et à appeler au secours. Les garde accoururent, les aidèrent à recharger les utres sur l’âne et reçurent pour récompense celle qui s’était débouchée en tombant, mais qui était encore plus qu’à moitié pleine. Efflam et sa sœur poursuivirent alors leur chemin. Mais ils revinrent sur leur pas, environ une demi-heure plus tard, et trouvèrent les gardes étendus par terre et profondément endormis, comme s’ils étaient morts. Fort bien ! dirent-ils.

Et il se rendirent alors à un couvent de moines qui se trouvait dans le voisinage, sous prétexte de leur vendre de l’excellent vin, , à bon marché. Au moyen de leur vin ils endormirent les moines, depuis l’abbé jusqu’au portier, et en profitèrent pour enterrer leur père en terre sainte, dans le  cimetière du couvent. Puis ils opérèrent un changement de vêtements entre les moines et les soldats, de manière que les moines se trouvèrent être accoutrés en soldats, et les soldats en moines.

Le lendemain matin, quand fut venue l’heure de chanter matines, les moines se traînèrent jusqu’à la chapelle, encore à moitié endormis et n’y voyant pas clair. Le premier d’entre eux qui s’aperçut du singulier accoutrement de l’abbé, en resta d’abord tout interdit. Il se frotta les yeux croyant avoir mal vu. Mais comme il continuait de voir devant lui un soldat et non un moine, il poussa son voisin du coude, en lui disant ::

  • Voyez donc notre abbé, comme il est accoutré ! Qu’est-ce que cela veut dire ?

Grand  étonnement du voisin, à son tour. Mais, en portant leurs regards sur les voisins de droite et de gauche de l’abbé, ils les voient également accoutrés en soldats, puis toute la rangée de moines qui leur font face, de l’autre côté du chœur ; enfin, en se regardant eux-mêmes, ils reconnaissent qu’ils sont tous habillés en soldats. Qu’est-ce  dire ? C’est sans doute un tour de l’esprit malin ! Et les chants et les prières cessent, et l’on essaie de pénétrer ce mystère.

Cependant, quand le capitaine vint, le matin, visiter les soldats préposés à la garde du corps du voleur, il fut fort étonné de les trouver tous profondément endormis et accoutrés en moines. Mais ce qui était pis encore, c’est que le corps du voleur avait disparu. Il entra dans une grande colère, jura, tempêta et réveilla les soldats à coup de pied.

Le bruit se répandit promptement dans la ville que le corps du voleur du trésor du roi avait été enlevé et que les soldats préposés à sa garde avaient été trouvé, le matin, ivres-mort et déguisés en moines, tandis que les moines du couvant voisin, également ivres, portaient l’uniforme des soldats. C’était inévitablement un nouveau tour d’un compère du voleur qui avait été pris.  Cela fit du bruit dans la ville, et on en rit beaucoup.

  • Je suis encore joué ! dit le roi, en apprenant tout ce qui s’était passé ; Il faut convenir que c’est là un voleur bien habile ; mais c’est égal, e veux savoir jusqu’où va son habileté, car j’espère bien la trouver en défaut.

Et il fit publier alors dans toute la ville qu’il ferait exposer, le lendemain, sur la place publique devant son palais, une belle chèvre blanche  qu’il avait et qu’il aimait beaucoup, et que, si le voleur parvenait à la lui dérober, elle lui appartiendrait.

  • C’est bien !! se dit Efflam, en entendant publier cela, la chèvre du roi sera à moi, demain avant le coucher du soleil.

Le lendemain, la chèvre blanche fut en effet exposée sur la place, devant le palais du roi, et il s’y réunit une foule considérable, curieuse de savoir comment le voleur viendrait à bout de l’enlever, malgré les soldats qui la gardaient. Le roi lui-même était à son balcon, avec la reine, et entouré de princes, de généraux et de courtisans.

Efflam se coiffa alors de son chapeau magique et enleva la chèvre le plus facilement du monde, et sans que personne y vît ni comprît rien.

  • Je suis encore joué ! s’écria le roi, avec dépit, quand il s’aperçut que la chèvre avait disparu. Mais qui est donc cet homme ? Il faut que ce soit un grand magicien, car il y a de la magie dans tout ceci. N’importe ! Je ne me tiens pas pour battu et je veux savoir jusqu’où cela ira.

Efflam avait tué la chèvre du roi, dès en rentrant chez lui, et avait dit à sa sœur de l’accommoder pour leurs repas, pendant qu’elle durerait, en lui recommandant bien de faire sa cuisine dans le plus grand secret, et de n’en donner le moindre morceau ni à un mendiant ni à nulle autre personne. Ils devaient manger la chèvre à eux deux.

Cependant le roi songeait au moyen de mettre à une nouvelle épreuve l’habileté et la finesse de son voleur. Il fit venir un mendiant aveugle, et lui dit d’aller demander l’aumône aux portes de toutes les maisons de la ville, et de solliciter partout un peu de viande, qu’il goûterait aussitôt que reçue. Si on lui donnait quelque part de la viande de chèvre, il devait, avec un morceau de crie blanche, faire une croix sur la porte de la maison où il l’aurait reçue, et venir l’avertir sur-le-champ.

Le mendiant commença aussitôt sa tournée. Quand il arriva à la maison d’Efflam, la sœur de celui-ci, qui avait sans doute oublié la recommandation de son frère, ou qui ne craignait pas d’être dénoncée par un aveugle, qui ne  connaissait ni elle ni la maison, lui donna un morceau de la chèvre du roi. L’aveugle s’en aperçut, dès qu’il eut goûté, et, à l’insu de la jeune fille, qui était rentrée dans la maison, après avoir fait son aumône, il marqua la porte de la maison d’une croix blanche et se hâta ensuite d’aller avertir le roi. Celui-ci envoya quatre soldats à la recherche de la maison dont la porte était marquée d’une croix blanche, à la craie, avec l’ordre de lui amener sur-le-champ les habitants de cette maison. Mais Efflam avait remarqué

La croix blanche de sa porte et il interrogea sa sœur et lui demanda si elle ne lui avait désobéi en rien. Hénori  lui dit qu’elle avait bien donné les restes de leur dernier repas à un vieux mendiant qui avait excité sa commisération, mais qu’il n’y avait rien à craindre de sa part, puisqu’il était aveugle. Efflam, sans attendre un mot de plus, se procura un morceau de craie blanche  et se mit à parcourir la ville, en traçant des croix sur toutes les portes.

Les soldats s’arrêtèrent à la première porte où ils aperçurent une croix et dirent :

  • C’est ici.

Ils entrèrent dans la maison et trouvèrent deux, et vieillards, mari et femme , et les invitèrent à les accompagner jusqu’au palais du roi.

  • Que nous veut le roi ? demandèrent-ils, tout étonnés
  • Vous avez volé son trésor et sa chèvre.
  • Comment l’aurions-nous fait, s’écrièrent-ils, saisis de frayeur, vieux et incapable comme nous le sommes ? Il y a plus de six mois que nous n’avons mis le pied hors de notre maison ;

Les soldats , les voyant si vieux et si incapables, se regardèrent et se dirent :

  • Ce en sont pas eux, évidemment ; voyons si nous trouverons pas de croix à quelque autre porte.

Et ils sortirent et s’aperçurent, avec surprise, que les portes de toutes les maisons du quartier portaient des croix semblables, ils l’allèrent dire au roi.

  • Quel homme que ce voleur ! s’écria le roi. Et il rêva à un autre moyen de le prendre en défaut.

Le lendemain matin, il fit publier par toute la ville qu’il exposerait sa couronne royale sur la place publique devant son palais, et qu’elle appartiendrait à celui qui pourrait la dérober, sans se faire prendre.

Efflam, en entendant cela, se dit en lui-même :

  • Sa couronne sera à moi, comme sa chèvre.

La couronne fut exposée, à l’heure et à l’endroit désignés. Une foule considérable était rassemblée sur la place, curieuse de voir si le voleur réussirait encore à l’enlever.

Le roi et sa cour étaient au balcon du palais, et de nombreux soldats montaient la garde, l’épée nue, autour du coussin de velours sur lequel la couronne était déposée. Mais toutes ces précautions ne servirent à rien et Efflam, s’étant coiffé de son chapeau magique, enleva la couronne du roi, aussi facilement qu’il avait enlevé la chèvre.

Le vieux monarque, comprenant enfin qu’il avait affaire au plus fin voleur de son royaume, et de plus à un grand magicien, sans doute, comprit  que c’était en vain qu’il essayait de lutter avec lui, et il pensa alors que ce qu’il avait de mieux à faire c’était de le conquérir et de se l’attacher, au lieu de le persécuter ; il fit donc publier qu’il exposerait le lendemain sa fille unique, au même endroit où avait été exposées la chèvre blanche et la couronne royale, et que si le voleur parvenait également à l’enlever, il lui accorderait pour épouse. Il était, à présent, bien persuadé que le voleur se tirerait de cette dernière épreuve aussi facilement que les autres ;

En effet, Efflam enleva encore la princesse, de la même manière, et la conduisit dans sa maison, sans que personne sût ce qu’elle était devenue. Puis, quand le roi fut rentré dans son palais, il s’y rendit aussi, accompagné de la princesse, et rappela sa promesse au vieux monarque. Celui-ci ne fit aucune difficulté pour tenir sa parole, et les noces d’Efflam et de la princesse furent célébrées, alors, avec pompe et solennité. Bien plus, le roi, qui était veuf, prit lui-même pour femme Hénori, la sœur de son gendre, et, pendant un mois entier, il y eut des fêtes, des jeux et des festins magiques, tous les jours.

 

Conté en breton par Vincent Coat, ouvrier de la Manufacture des tabacs de Morlaix, le 20 août 1876 ; Collecté par François-Marie Luzel.

Sources Mélusine  1878.