Marc Aubaret, ethnologue fondateur du CMLO, nous livre des réflexions sur la littérature orale.

Pourquoi, depuis que l’écriture existe, les humains continuent de se réunir physiquement pour se raconter des histoires ?
Pourquoi, malgré les moyens technologiques aujourd’hui à leur disposition les chercheurs de toute discipline ressentent le besoin de se retrouver en séminaire, en colloque, en congrès pour échanger l’avancé de leur travaux.
La période de confinement que nous venons de traverser a bien mis en exergue cette différence qui existe entre la relation directe et la relation par l’intermédiaire d’un média, quel qu’il soit.
Pour la transmission du répertoire de la tradition orale il en est de même, mais l’analyse du pourquoi n’est pas si simple et je ne m’avancerais pas dans des affirmations définitives.
Je vous propose juste une réflexion qui je l’espère déclenchera un désir de prolonger le propos.
La première base qui me semble importante de prendre en compte, c’est la raison d’être du rassemblement.
Ce rassemblement est-il formel (invitation à écouter un conteur) ou informel ; Une soirée conte ou une veiller de travail partager ou des récits peuvent émerger) ?
La différence est grande, d’un côté l’invitation met le conteur dans une position de performeur, de l’autre il se trouve dans une possibilité de dire une histoire, mais n’en a pas l’obligation. Il attendra le moment propice pour Commencer sa narration.
Dans les deux cas, la forme même de la narration dépendra de la qualité du groupe en présence ; la qualité de présence du conteur se construira elle aussi dans la relation avec le groupe.
Dans cette prestation en présence vont se déterminer des parts de communication ou le corps occupera 55%, le para-verbal (intonation, prosodie, intensité, accentuation…) 35%,  les mots 7% et le contexte 3% (Sources communiquant).
Les auditeurs eux-mêmes s’influencent par leur réaction, (silences, rires, émotions, …) et influencent donc le narrateur.
De plus, quand le conteur connaît bien son auditoire (ce qui était souvent le cas dans les veillées traditionnelles) il peut se permettre de laisser dans le silence de nombreux détails car il sait que chacun saura les recomposer, ou, au contraire, jouer avec pour construire un sens propre à la communauté d’écoute.
Quant-au récit qui est dit ce jour-là, sa durée de vie est courte. Le lendemain les mémoires des auditeurs auront déjà oublié les détails, et bien souvent auront reconstruit certaines images, voire le sens mêmes du conte.
Pour l’écrivain qui se lance dans la transmission d’un conte, il manquera la majeure partie des éléments précédents. Pas de public connu, pas de contexte partager, pas de dynamique de groupe, pas de non verbal, pas de para-verbal, pas de contexte partagé…. Et de plus une narration figée par sa matérialisation scripturale.
C’est là que le talent commence.
Comment compenser ces manques ? Comment faire vibrer le récit alors que la présence de ce qui le reçoive n’est pas là ? Comment faire pour ne pas imposer des images, ou tout au moins pour qu’elles soient assez ouvertes pour que les lecteurs puissent les compléter, se les réapproprier ?
Autant de questions et bien d’autres que l’on peut se poser en lisant les contes de Georges Sand, mais qu’il faudrait aussi se poser pour tous les récits qui sont passés par le filtre de l’écriture.