Mythe Inuit . Sedna (Version de Cumberland Sound)

À Padli vivait une fille nommée Avilayoq. Comme elle ne voulait pas se marier, elle était aussi appelée Uinigumissuilimg. Dans le village où elle habitait, il y avait une pierre, pointillée de rouge et de blanc qui se transforma en un chien et épousa cette fille. Elle en eût beaucoup d’enfants ; quelques-uns furent la souche des Eskimos, d’autres, celle des hommes blancs, d’autres encore, celle de différents êtres mythiques à demi-humains : Inuaritâligat, Ijiqat et Adlit. Ces enfants menaient grand tapage dans la maison de leurs parents, tellement qu’ils causèrent une grande colère chez le père d’Avilayoq et que celui-ci résolut de les transporter à l’île Arttituaqdjuausiq, ce qu’il exécuta. Tous les jours, Avilayoq en voyait son mari chercher de la viande pour elle et ses enfants à la maison de son père (ce qui prouve, bien que la légende ne le dise pas, qu’ils avaient été rejoindre leurs enfants sur l’île). Elle pendait autour du cou de son mari-chien une paire de bottes que son père remplissait : de viande et, alors, le chien retournait à l’île, portant la viande. Un jour que le chien était parti pour aller chercher la subsistance de sa famille de la manière qui vient d’être indiquée, un homme aborda à l’île avec son kayak et appela Uinigumissuilung. Il l’interpella en ces termes :
« Prenez votre sac, et venez avec moi ! » Il avait l’apparence d’un beau et grand homme et plût beaucoup à Avilayoq ; elle prit son sac, alla au kayak, et l’homme prit la mer. Lorsqu’ils furent parvenus à quelque distance de l’île, ils se trouvèrent arrêtés par une large plaque de glace.

L’homme arrêta son kayak et sauta sur la glace. Elle vit alors qu’il était de très petite taille et qu’il paraissait grand seulement parce que le siège du kayak était très élevé. En conséquence, elle commença à se lamenter ; l’homme alors se mit à rire et lui demanda : « Avez-vous vu mon siège ? » Il revint alors à son kaijak et il continuèrent leur voyage. Finalement, ils arrivèrent en un lieu où se trouvaient beaucoup de huttes, peuplées de beau – coup de gens. L’homme montra une certaine hutte, faite de peaux de jeunes phoques et dit que là était le but du voyage. Ils abordèrent et Avilayoq se dirigea vers latente pendant que l’homme arrangeait son kayak. Il la rejoignit bientôt dans la hutte et resta avec elle pendant deux ou trois jours, avant d’aller à la chasse aux phoques. Le nouveau mari de cette femme était un pétrel.

Pendant que ceci se passait son père avait laissé son mari-chien dans sa hutte et était allé à sa recherche. Ne l’ayant pas trouvée tout d’abord, il rentra chez lui et dit au chien de l’attendre encore, qu’il allait faire un grand voyage de recherches afin de la trouver. Il équipa un grand bateau et voyagea, de-ci delà, pendant longtemps ; il visita beaucoup d’établissements avant de pouvoir la découvrir. Finalement, il arriva au lieu où elle vivait. Il y vit beaucoup de huttes, et sans quitter son bateau, il cria, priant sa fille de venir le trouver pour rentrer avec lui et pour retourner auprès de son premier mari. Elle entendit ses appels et vint retrouver son père, entra dans son bateau et fut cachée par lui sous un amas de fourrures. Il n’y avait pas longtemps qu’ils naviguaient, lorsqu’ils aperçurent un homme en kayak qui les suivait. C’était le pétrel, le second mari de la femme. Il les rejoignit bientôt, et mettant son canot bord à bord avec le bateau des fugitifs, il pria sa femme de lui montrer sa main, car il voulait revoir encore au moins une partie de son corps ; mais elle ne fit aucun mouvement. Il demanda alors à voir au moins un de ses gants ; elle ne bougea pas davantage. En vain le pétrel tenta-t-il, par toutes sortes de moyens, d’arriver à ses fins, sa femme resta cachée. Alors, il commença à crier de colère, reposant sa tête sur ses bras. Pendant ce temps, le père d’Avilayoq pagayait de toutes ses forces, si bien que l’homme-pétrel resta bientôt de beaucoup en arrière. Le temps avait été calme jusque-là, et le père de la femme continua à se hâter vers sa maison. Au bout de
quelque temps, il vit quelque chose qui suivait son bateau ; tantôt cela avait l’aspect d’un homme en kayak, tantôt celui d’un pétrel. Cette figure étrange allait de ci de là sur l’eau et atteignit le bateau des deux fugitifs, dont elle fit le tour plusieurs fois, et finalement disparut. Soudain, des coups de vents arrivèrent, les eaux commencèrent à monter et au bout dé peu de temps, un grain s’abattit sur le bateau du père d’Avilayoq. Le bateau était encore à une certaine distance de la côte. Le vieil homme craignait d’être noyé et craignant la revanche « le mari de sa fille, il lança celle-ci par-dessus bord dans l’espoir de l’appaiser. Avilayoq se raccrocha au bordage ; alors son père prit sa. hachette et lui trancha les premières phalanges des doigts ; celles-ci, en tombant dans l’eau se transformèrent en baleines, les ongles formant les fanons. Alors, Avilayoq se raccrocha avec les secondes phalanges ; son père les lui coupa également, et, en tombant dans l’eau, elles se transformèrent en phoques de terre ; elle essaya encore de s’accrocher avec ses dernières phalanges ; son père les lui coupa encore, et, en tombant d, ans l’eau, elles se transformèrent en phoques communs.

Enfin, dans un dernier effort, Avilayoq essaya de saisir le canot avec ses moignons, son père prit sa rame de direction, et d’un coup qu’il lui appliqua sur la tête, il lui fit sauter, l’œil gauche. Elle tomba alors dans l’eau, et il pagaya erre. Étant arrivé à terre, il remplit de pierres les bottes qu’il avait coutume de donner au premier mari de sa fille, remplies de viande ; il couvrit seulement la surface de morceaux de viande. Le chien partit donc avec son chargement habituel ; mais, arrivé à l’eau, il ne tarda à enfoncer et finalement se noya. Durant cette noyade, on entendit un grand bruit se produire. Aux basses-eaux, le père prit sa tente et alla l’établir sur la grève ; mais la marée le submergea, ainsi que la tente qui lui servait d’abri, et, lorsque – les eaux se retirèrent, on ne trouva aucune trace de ce qu’il pouvait être devenu.

La femme devint Sedna, qui vit dans le monde inférieur, (sous la mer) dans sa maison construite de pierres et de côtes de baleine. Elle n’a plus qu’un œil et ne peut-pas
marcher, mais elle glisse, une jambe repliée sous elle et l’autre long étendue. Son père vit avec elle dans sa maison et repose couvert de sa tente. Le chien, qui avait été son
premier mari, se tient à la porte de la maison.

 

Source :

Lesouëf Auguste et Beuchat Henri (eds.), 1903, " Le mythe de Sedna chez les Eskimo du Centre " dans Bulletin des livres relatifs à l'Amérique, Paris, (coll. " Tome I "), vol.décembre.

Notes : Mythe reporté dans un ancien ouvrage sur les mythes, disponible à la lecture :