
AUSTRALIE
Une caractéristique des croyances religieuses des aborigènes australiens est qu’elles sont non seulement constituées en systèmes, mais aussi liées pour chaque détail à un point précis du paysage.
Littérature orale de l’Australie
Cadre Général
L’Australie, un vaste territoire encore peu peuplé. Ce pays fut habité il y a plus de 60 000 ans par des populations venues de l’ancien continent asiatique. La montée des eaux, au quaternaire, isole ces populations qui maintiennent un mode de vie fondé sur la chasse et la cueillette.
Plus de cinq cents langues étaient parlées sur l’ensemble du territoire par une population évaluée à environ 1 million de personnes au moment de l’arrivée des européens au XVIII° siècle.
Ces peuples « autochtones » n’ont pas vraiment été respectés par les colons. Ils ne deviennent des citoyens à part entière qu’après le référendum de 1967 et leur qualité de premiers occupants du sol ne fut reconnue qu’en 1993.
Spirituellement lié à la terre, à la faune et à la flore, l’organisation sociale traditionnelle des aborigènes est très complexe et varie selon les régions et les langues (plus de 200 répertoriées et réparties en 12 familles linguistiques).
Malgré cette diversité les mythes sur la formation du paysage et l’instauration de règles sociales par des voyageurs totémiques ont tissé un maillage d’itinéraires multiples reliant quelques cent tribus d’un océan à l’autre.
Les Aborigènes australiens
La société et les institutions religieuses
Une classification rigoureuse de la société
Une des caractéristiques des cultures traditionnelles du continent australien réside dans la constitution d’un lexique conceptuel, lié à l’environnement, destiné à classifier et à catégoriser les hommes et leurs institutions, de façon à les aider à se constituer en systèmes élaborés, intellectuellement sophistiqués, compréhensibles sur une grande étendue, au-delà des barrières linguistiques. Des concepts classificatoires purement abstraits furent même définis, en particulier pour désigner les quatre ou huit catégories (respectivement nommées par les spécialistes sections et sous-sections) auxquelles on accède du fait du père ou du fait de la mère, directement ou indirectement, avec toutes les combinaisons possibles, les unes nommées, les autres non nommées mais cependant fonctionnelles, l’appartenance à l’une d’entre elles déterminant quelles femmes peuvent être épousées et lesquelles sont interdites.
Sections ou sous-sections se combinent avec l’existence de moitiés matrimoniales, l’appartenance à l’une de celles-ci signifiant que la moitié des épouses potentielles vous sont interdites, alors que l’appartenance à une section restreint le nombre de conjoints permis par quart du chiffre théorique. Dans ce dernier cas évidemment, majoritaire au Centre, au Nord et à l’Ouest du continent, pour des sociétés réduites, vivant de chasse et de cueillette et de ce fait dispersées par petites bandes d’hommes, de femmes et d’enfants, il n’est nullement certain qu’existe le nombre nécessaire de conjoints pour tous les jeunes parvenant à l’âge voulu. Il est donc nécessaire de rechercher au-delà des limites du territoire immédiat, dans d’autres groupes linguistiques, et de disposer pour cela d’un vocabulaire sociologique vernaculaire assurant cette fonction, et permettant de fournir à chaque voyageur, à chaque réfugié, une classification rigoureuse et commode de la société où il pénètre – en particulier de séparer les femmes nubiles entre celles qu’il doit respecter et celles qui lui sont accessibles.
Des croyances liées à l’environnement
Les institutions religieuses ont une fonction en partie inverse, celle de traduire l’enracinement du groupe social à l’intérieur d’un territoire de chasse ou de cueillette. Ce rôle est si fort que les rites que nous appelons d’initiation, destinés à donner aux adolescents et aux jeunes hommes la connaissance des justifications ancestrales de l’appropriation de leur territoire, de ses itinéraires de chasse et des trous d’eau auprès desquels peut s’établir un campement , en sauraient être repris et répétés en exil.
Dès que les immenses périmètres mis sous interdit dans l’immédiat après-guerre au profit d’une aire d’expérimentation de fusées britanniques ont été libérés, et les aborigènes chassés de là pendant plus de deux décennies, autorisés à y retourner, des cars furent affrétés pour aller renouer avec les rites qui n’avaient pu être pratiqués au cours de cette période, là où ils devaient l’être, même si les intéressés avaient l’intention de conserver en leur terre ancestrale l’habitat péri-urbain auquel ils avaient dû s’adapter, et les emplois qui allaient avec.
Une caractéristique des croyances religieuses des aborigènes australiens est qu’elles sont non seulement constituées en systèmes, mais aussi liées pour chaque détail à un point précis du paysage : trou d’eau dans un lit de rivière desséché, rocher, falaise, arbre caractéristique. L’enquête de l’ethnologue consiste à relever une topographie détaillée, dont la cartographie correspond aux revendications territoriales du groupe considéré. Elle amène également à mettre en tableau les espèces animales, végétales, les phénomènes atmosphériques, et à établir leur relation – souvent croisée – avec une fraction du corps social. Le besoin de classification, d’indexation, qui est celui de toutes les sociétés humaines, est ici satisfait par l’utilisation systématique de ce qui existe dans l’environnement naturel, aux fins d’étiquetage, ce qui est un système aussi commode pour la conceptualisation que nos codes numériques.
Enfin, de même que chaque groupe social constitué relève, pour sa survie matérielle entre autres, d’une fraction de l’espace, appropriée par lui, il lui est affecté le contrôle d’une partie de cet environnement, ce qui rend tous les groupes solidaires puisque chacun a la charge d’assurer le bon fonctionnement de ce qui lui est confié de la nature environnante.
Deux principes doivent ainsi être retenus au plan religieux : le partage de l’espace, donc des lieux rituels potentiels, et l’insertion des fractions d’institutions et des lieux appropriés dans un système plus général. Ce que chacun peut faire vient en complément des actions de tous les autres et s’il surgit parfois des querelles, qui se règlent en combat singulier ou de groupe, ou par le recours aux maléfices (bone pointing), chaque unité territoriale est comprise comme agissant en solidarité avec les autres dans tout rite lié à l’environnement naturel. Ceci a entre autres avantages celui de rendre inimaginables les tentatives d’un groupe pour en chasser un autre par une sorte de guerre de conquête dont la possibilité n’est même pas conceptualisée.
Le contrôle rituel de la nature
Ayant vécu ce qui fut peut-être la plus longue période d’isolement de l’histoire humaine, malgré quelques contacts avec des sociétés mélanésiennes ou de Nouvelle-Guinée, les aborigènes australiens ont pu tranquillement peaufiner leurs techniques propres de contrôle rituel de la nature, conceptualisation raffinée et complexe dont les conditions allaient du supportable au plus terrible. Ces conditions particulières avaient pour conséquences que l’étendue de ce que l’on appelle les territoires « tribaux » variait selon leur richesse biologique, et que les modalités du rite et du mythe recouvraient une connaissance précise : les pérégrinations des chasseurs-cueilleurs devaient s’adapter au rythme du renouvellement des espèces naturelles et les techniques même de cueillette ne devaient jamais aboutir à l’élimination d’une plante comestible, mais favoriser sa multiplication spontanée (en laissant sur place assez de pieds intacts, ou en procédant par bouturage immédiat à la période humide, c’est à dire en ayant recours à des techniques annonçant un futur développement de forme d’agriculture).
À suivre…
Article d’après Jean Guiart in Mythes et croyances du monde entier volume 3 p 543.






